Architecture du rythme sculpté
Géographie du gamelan

Le problème de l'Inde

The India problem

  1. Décalage culturel
  2. Quelques phénomènes
  3. Trois hypothèses
  4. N'oublions pas les navigateurs
  5. Une certaine saveur

Décalage culturel

Il est naturel de chercher des points communs entre la musique en Inde et le gamelan. Le lien culturel avec l'Inde est manifeste dans une bonne partie du sud-est asiatique. Sculpture, architecture, peinture, textiles, danse et autres arts de la scène, cuisine, médecine, calendriers, littérature, langue, religion et société sont autant de domaines où l'Inde a joué un important rôle. Ce lien était fort entre l'Inde et Java en ce qui concerne la danse particulièrement. Il est légitime de chercher une influence musicale aussi. Mais ici l'on bute contre la différence irréductible entre musique de l'Inde et gamelan.

Ce qu'on entend en Inde n'a rien avoir avec le gamelan. Après des heures d'écoute des sons multidimensionnels et dansants du gamelan, la musique indienne nous fait faire une chute brutale vers un monde musical tout autre. Un monde qui fait écho au Moyen-Orient. L'Inde fait bien partie de la grande aire musicale de l'Asie occidentale, qui s'étend de l'Afrique du Nord à l'Asie Centrale. L'Inde n'est que le rameau le plus oriental de cette aire. De par ses caractéristiques, on peut percevoir cette musique comme étant aux antipodes du gamelan :

  • Il s'agit d'une musique à caractère monodique.
  • Dans les gammes, les intervalles sont systématiquement courts et nombreux. Il y a un nombre redondant, excessif de modes.
  • La voix, les cordes, etc. prédominent et non les percussions mélodiques.
  • La partie rythmique est séparée de la mélodie, elle n'est pas enracinée dans la structure musicale. Il n'y a pas de grands ensembles instrumentaux.

On reste étonné, déçu de ce décalage culturel. Et entendre cette musique indienne à Java ou Angkor ne serait de toute façon pas une situation envisageable. En effet, cette musique ne s'accorderait pas avec la danse javanaise et khmère, elle ne concorderait pas, esthétiquement parlant, avec les arts de ces contrées. Cette danse et ces arts sont pourtant indiens, le problème est justement là. Cela ne signifie pas non plus que le gamelan ne soit pas indien ! ou que Java n'ait pas influencé les arts en Inde ! De telles affirmations semblent osées, au premier abord. Mais, un jour ou l'autre, il faudra bien résoudre ce problème.

Il vaut la peine de bien observer certains phénomènes culturels et leurs mécanismes dans l'histoire de l'Asie Méridionale, pas seulement pour se rendre compte de l'ampleur du problème, mais aussi pour entrevoir peut-être un début d'explication. Si le gamelan n'existait ni en Inde ni à Java au début de notre ère, ces phénomènes nous disent en tout cas qu'une telle musique n'avait aucune chance de se développer dans le sous-continent indien par la suite. Java avait en plus sous la main une technologie déjà présente en Asie du Sud-Est : le bronze au son accordé.

Confluences en Birmanie

L'ancienne musique indienne, ou l'une des musiques anciennes d'Inde, a certes laissé des traces dans le sud-est asiatique. Elles semblent le plus audibles dans l'actuel Myanmar. Bien que différente de la musique de l'Inde actuelle, c'est une influence que l'on pourrait qualifier de neutre, dans le sens qu'elle n'a ni dégradé la musique de Birmanie ni développé son aspect gamelan. Bien que provenant d'Inde, cette influence émane d'une musique différente de ce qu'on entend aujourd'hui dans son pays d'origine. La harpe indienne, par exemple, n'existe plus dans la musique "classique" en Inde aujourd'hui mais dans celle du Myanmar.

Il est difficile de savoir si cette même influence s'est exercée sur d'autres musiques de l'Asie du Sud-Est, notamment le gamelan. Observons en tout cas que la musique birmane a reçu une autre influence, d'origine indonésienne, au travers des musiques mône et thaïe-khmère : celle du gamelan. Elle est manifeste dans le hsaìng-waìng, carillon de gongs bulbés. Observons aussi que l'ancienne musique indienne ayant influencé la Birmanie n'était pas de même nature que celle provenant du Cambodge. Destinée au divertissement, cette musique indienne avait un caractère purement artistique. Le gamelan, quand à lui, a une plus forte fonction rituelle. Pour trouver en Inde une musique à caractère rituel, percussive également, il faut se diriger vers le Kérala. Mais ce n'est pas de cette musique là que l'influence est allée d'Inde en Birmanie.

L'influence de la musique indienne en Asie du Sud-Est existe mais est limitée. Elle est bel et bien différente de la musique actuelle indienne mais ne ressemble néanmoins pas au gamelan. Si il faut chercher une éventuelle influence de l'Inde sur le gamelan, on devra se diriger vers des influences indirectes et qui ne proviennent pas de la musique indienne elle-même.

La danse rituelle indienne et sa musique ont certainement souffert en Inde même.

Dans les régions côtières au sud-ouest du sous-continent, le Malabar et le Kérala abritent des formes intéressantes de musique et de danse. Les ensembles instrumentaux accompagnant la danse sont en géenéeral plus basés sur la percussion que dans le reste de l'Inde. En outre, la percussion semble avoir été plus prépondérante à travers le sous-continent dans le passé. Au fil des siècles, l'Inde a reçu de nouveaux instruments de musique et une nouvelle musique par la frontière nord-ouest venant de l'Asie Centrale, de Perse et même de Grande-Bretagne ! Cette nouvelle sorte de musique a voilé la tradition musicale indigène sous une nouvelle esthétique qui n'a jamais été conçue pour la danse indienne.

Nous avons l'impression que pendant le renouveau de la danse classique en Inde, la musique indienne habituelle a été appliquée à la danse ; engendrant une musique que trop identique à celle jouée dans des contextes sans rapport avec la danse. Cela doit expliquer en partie pourquoi la musique accompagnant aujourd'hui le bharata natyam, l'odissi et autres danses classiques ne semble jamais aller avec la danse. Musique et danse ont l'air de cohabiter de manière forcée, chacun donnant une atmosphère différente : la danse essaie de transmettre rythme, dynamisme, joie dans le rythme ; la musique transmet un sentiment peu enthousiaste.

L'expansion de cette musique étrangère a épargné quelques lieux, apparemment au Kérala et ses environs. Aussi, toutes les danses classiques de l'Inde ont conservé UN instrument essentiel : ce tambour cylindrique horizontal à deux peaux. C'est parce qu'il est au cœur de l'accompagnement rythmique de la danse.

Un histoire tout à fait différente s'est déroulée en Asie du Sud-Est où les ensembles piphat et gamelan sont synonymes de musique de danse et de théâtre. Voir le possible rôle de la danse indienne dans le développement du gamelan dans le Java ancien.

Deux questions

À partir de tout cela nous viennent deux interrogations :

  1. Que serait devenu le bronze sonore accordé sans l'influence indienne ?
    On peut spéculer que si Java n'avait pas été indianisé, le gamelan n'existerait pas ou aurait une autre forme (mais aurait-on pu parler de gamelan dans ce cas ?).
  2. En Inde, qu'est-il arrivé à la musique de danse rituelle, avant la reconstruction des danses ? Est-elle perdue ? Quelle était-elle en Inde pré-moghole ?
    Aujourd'hui, la musique de danse la plus percussive nous vient du Kérala. A-t-elle un rapport avec les anciennes musiques rituelles de l'Inde ? Trahit-elle des influences sud-est asiatiques ?

On peut également tenter des explications plus radicales en émettant trois hypothèses.

 

 À propos du site… Date de cette page : 9 OCT 2005